Actualités de l'institut d'anthropologie clinique

Bernard Garaut - 22 novembre 2023

Debout sur le vent #11 – Mais comment faire …

Les récits multiples entendus, partagés, générés, l’effet sur mon propre chaos de ce Dit tumultueux d’un autre,
la douloureuse beauté de leur langue singulière et le télescopage quasi permanent de nos imaginaires…

Le trouble éprouvé alors …quels recours !
La littérature, dans toutes ses formes et contenus, l’écriture, et surtout la poésie
le sont devenus.
D’abord sans le savoir.
Jusqu’à ce qu’alors je le décide.
Croiser dans un même élan,
les récits de vie,
les temps d’existence partagé-e-s
la poésie,
et l’élaboration avec tous les modes que m offraient tous ces éléments.
Tenter chaque fois de faire de l’inextricable, de l’incompréhensible, une façon
d’Etre ensemble. Là. Dans l’existence.

« …Humaniser la folie,

Désaliéner les lieux de soins… » claironnait  François Tosquelles !

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MAIS COMMENT FAIRE …

On dirait de lui « bonne bouille », grands yeux
clairs, un langage « construit », zozotant…
prenant volontiers la main, tendue ou pas.
Rieur, paraissant joyeux.
Un rien pataud, genoux rentrants et un pied
légèrement de travers.
Mais rien qui ne l’empêche de courir.
L’habitude certainement de ce corps là…
C’est un enfant, en institution, que l’on repère et
investit facilement.
Et bien heureusement pour lui, pour nous !!!…

La fulgurance de ses passages à l’acte, le
potentiel de violence extrême alors montré et utilisé,
nous stupéfie quand il décide de passer à l’acte !
D’autant plus démunis que ces moments-là ne sont
précédés d’aucuns signes repérables.
Par nous.

Ça ouvre notre vigilance. Dans une tentative
de lire ce passage à l’acte, cet acting out?
Cet enfant par sa « pathologie », sa dangerosité et
son étrangeté mobilise une bonne partie de nos
cogitations, énergie… et empathie.
La pensée au travail, l’élaboration, le travail
théorique, des choses à faire avec lui, pour lui,
autant de préoccupations simultanées nous animent.

« L’ignorant affirme, le savant doute » écrit Aristote…

Nous avons souvent côtoyé les deux fonctions.
Mais nous avons toujours et beaucoup partagé
notre ignorance et notre savanterie…

La solidarité institutionnelle, la solidité du collectif
ont fonctionné de toutes leurs forces.
Il fallait bien tenir
Il faut inventer :
/comment anticiper
/quoi lui dire, de quelle aide possible
/une première réponse,
/une élaboration pour une tentative de compréhension,
/protéger les autres enfants vers qui cette violence est toujours adressée
/évaluer le danger vital pour ces autres enfants (de 3 à 8 ans). Pour lui.
Lui en a 7.

Et bien-sûr, comme souvent, c’est lui qui vient
éclairer nos vies communes.
Quatre petites histoires.

*Et l’appel l’appel s’éloigne.

C’est toujours la même histoire qu’il demande à
écouter. Celle d’un petit garçon malade qui appelle,
dans sa maison, quelqu’un qui ne vient pas. Il est
couché dans son lit. Dans sa chambre. Seul.
Et la dernière phrase du livre, de nombreuses fois
répétée à sa demande: « l’appel, l’appel, s’éloigne »
l’endort, logé, lové dans le giron du lecteur.
Premier relâchement…
Nous apprendrons plus tard par ses parents, une
longue hospitalisation à l’âge de 3 ans et
immobilisation à la maison, le bas du corps contenu par un plâtre.
Et la difficulté pour eux d’y faire face.

*ne pas lâcher c’est ne pas laisser tomber.

Dans un moment de contention « forcée »,
maintenu, doucement, corps à corps, il hurle des
grossièretés, fortement sexualisées, puis sans cesse
« lâche moi » avec le même langage fleuri, puis
épuisé, en sueur, comme un souffle « tiens moi ».
Il s’endort.
Son visage marqué comme par une longue fatigue,
comme après un combat.

*entre deux.

Quelques mois plus tard… la formule d’alarme
surgit : « foute bordel ».
Phrase concomitante au premier geste du passage à
l’acte. Mais il Nous le dit, nous prévient…de le
contenir dans l’adresse de cette phrase …magique.
Dans le même temps il demandera à être assis entre
les deux adultes présents avec lui.
Un recours qu’il imagine, demande et ébauche
d’une autre altérité…

*mais c’est bien sûr!

Au cours d’une longue séance de travail en équipe,
accompagné d’un superviseur, l’un de nous dit :
Il n’arrête pas de m’appeler papa.
Que lui répondez-vous ?
Que je ne suis pas son père pardi !
Grand éclat de rire du monsieur qui avec beaucoup
de gentillesse répond :
« Et vous croyez qu’il ne le sait pas ? »
Silence magnifique pour une réponse magistrale :
Dites-lui Merci.

Oui, bien sûr ! Merci.
Et nous continuerons à vivre et
à faire avec l’incertitude, bien nécessaire,
à ne pas se laisser aller à croire mais à attendre, à penser.

B. G.

l’ ultime lumière,
la vue barrée par…la lune voilée
soleil barré
…le soleil aurait été insoutenable
sans doute
sa lumière comme retenue par un mur
la deviner
au travers des feuillages qui paraissent
immobiles, eux,
et en paix.
(un poète anonyme)